C’est avec une grande tristesse que nous avons appris, via son fils, le décès le 17 juin 2020 de Roberto Aureliano Salmeron, ancien directeur de recherche au CNRS et physicien au Laboratoire Leprince-Ringuet de l’IN2P3 (anciennement LPNHE) à l’École polytechnique.
Né à São Paulo au Brésil, dans une famille d’origine hispano-italienne, formé d’abord comme ingénieur, Roberto a débuté sa carrière professionnelle dans son pays natal. Passionné de physique, ses cours en cycle préparatoire dans sa ville natale étaient renommés. Il est l’auteur entre autres d’un ouvrage intitulé "Introdução à Eletricidade e ao Magnetismo” (Introduction à l’électricité et au magnétisme), un livre qui s’est imposé au Brésil pour former plusieurs générations de lycéens. Après une brillante thèse de doctorat à l’Université de Manchester sous la direction de Patrick M.S. Blacket, prix Nobel de physique en 1948 pour le développement de la chambre à brouillard dite « de Wilson », il commence à s’imposer comme physicien sur la scène internationale dans les années 1960, au sein du grand Centre Européen de Recherche Nucléaire (CERN) à Genève. Sollicité par plusieurs universités prestigieuses, Roberto choisit l’École polytechnique à Paris qu’il intègre à partir de 1967 à l’invitation de Louis Leprince-Ringuet, et conseillé en ce sens par le Directeur du CERN de l’époque et polytechnicien Bernard Gregory. Roberto y rejoint le groupe de chambre à bulles à hydrogène du LPNHE qui comprenait entre autres à l’époque Denis Linglin, Bernard Chaurand, Bernard Drévillon et Rémy Lestienne.
En 1969, Robert crée la fameuse « École de Gif », devenue aujourd’hui la plus ancienne des Écoles thématiques de l’IN2P3. Elle est toujours fidèle aux principes fondateurs élaborés par Roberto : des discussions libres et informelles, autour de cours structurés et approfondis, avec l’objectif de faire le tour de tous les aspects d’un sujet, depuis les concepts essentiels jusqu’aux aspects les plus subtils, tout en suggérant de nouvelles voies de recherche.
Pendant les années 1970, Roberto utilise les données de chambre à bulles pour étudier les diffusions élastiques et inélastiques de kaons sur cible fixe. Il y collabore par exemple avec le groupe du CEA Saclay comprenant Michel Spiro et Daniel Denegri. À partir du début des années 1980, Roberto rejoint Louis Kluberg et l’expérience NA10 pour étudier la production de J/Psi dans les collisions hadroniques. Il s’agissait d’étudier les mécanismes Drell-Yan de production de paires de muons et les corrections induites par la chromodynamique quantique, la théorie de l’interaction forte. L’expérience NA10 préparait le terrain pour l’expérience NA38, une expérience pionnière pour l’étude de la matière hadronique soumise à des conditions extrêmes de température et de densité. Rejoint par Albert Romana et Philippe Busson dans NA10, puis par Claude Charlot dans NA38, le groupe du LLR forma le noyau dur initial de la fameuse expérience NA38 pour la recherche du plasma de quark-gluons dans des collisions ultra-relativistes de noyaux lourds sur cibles fixes. Il s’agissait de reproduire les conditions de la matière hadronique des premiers instants de l’Univers où les quarks et les gluons apparaissent déconfinés. J’ai eu le plaisir de rencontrer Roberto à l’époque alors que je venais de compléter mon doctorat de l’Université McGill dans l’expérience NA34, elle aussi dédiée à la recherche du plasma de quark-gluons. Je me souviens d’un physicien passionné par le sujet. Claude, qui avait intégré NA38 à l’époque, se souvient d’une personne « d’une extrême gentillesse » qui savait « partager son enthousiasme » et qui était avec Louis Kluberg « un des grands artisans de cette expérience pionnière sur la recherche du plasma de quark-gluons au SPS ». L’observation de la suppression du J/ par l’expérience NA38 puis par NA50 dans les collisions d’ions lourds, un phénomène de "dissolution" dans le plasma prédit théoriquement par Tetsuo Matsui et Helmut Satz, est généralement considérée comme une preuve de la formation de ce nouvel état de la matière : le plasma de quark-gluons. Cette observation a joué un rôle décisif dans l’interprétation de l’ensemble des résultats des expériences pionnières qui permit au CERN d’annoncer officiellement la découverte d’un nouvel état de la matière en février 2000.
Roberto avait une personnalité extrêmement attachante et, avec plusieurs anciens jeunes physiciens encore en activité au LLR, nous sommes nombreux à avoir largement pu profiter de ses connaissances en arrivant au laboratoire vers la fin des années 1980. La physique des collisions ultra-relativistes d’ions lourds n’a jamais cessé depuis d’être un sujet d’intérêt majeur au LLR avec l’expérience PHENIX à Brookhaven (Olivier Drapier, Michel Gonin, Frédéric Fleuret, Raphaël Granier de Cassagnac) et plus récemment les expériences LHCb et CMS au CERN.
Yves Sirois,
Directeur du Laboratoire Leprince-Ringuet,
École polytechnique, CNRS-IN2P3
Palaiseau, Juillet 2020