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La physique de l’infiniment grand l’infiniment petit

Vers la mesure de l’auto-couplage du boson de Higgs

6 avril 2022


[*Un nouveau pas vers la mesure de l’auto-couplage du boson de Higgs
*]

[**Une nouvelle analyse de recherche de la production non résonante de paires de bosons de Higgs dans le canal de désintégration (b anti-b)τ-τ+, utilisant l’intégralité des données du Run 2 du LHC, a été présentée à la conférence Moriond EW 2022. L’équipe CMS du LLR fait partie des principaux contributeurs à cette analyse et avait déjà largement contribué aux premières études du même processus avec les données récoltées en 2016. Depuis, d’importantes améliorations ont été apportées, notamment en mettant à profit les récents progrès dans le domaine de l’apprentissage profond, qui ont permis une large amélioration de la sensibilité à ce signal rare et aux couplages du boson de Higgs auxquels il permet d’accéder.*]

Dix ans après la découverte du boson de Higgs (H) par les expériences ATLAS et CMS, l’étude de ses propriétés reste toujours une des priorités pour les deux collaborations. Parmi ces propriétés, l’auto-couplage λ du boson H se montre particulièrement intéressant du fait de son influence directe sur la forme du potentiel de Higgs. Ce potentiel est fondamentalement lié au phénomène de brisure spontanée de symétrie électrofaible expliquant, entre autres choses, comment les bosons vecteurs W± et Z0 acquièrent leur masse. Dans le modèle standard (SM), la valeur de λ est directement proportionnelle à la masse du boson H, déjà mesurée avec grande précision. Cependant, cette relation de proportionnalité reste encore à vérifier expérimentalement, et un désaccord entre le comportement prédit et observé serait un signe flagrant de nouvelle physique.

L’approche principale pour mesurer λ est au travers de la production non résonante de paires de bosons H (HH), cependant très rare, et encore jamais observée. En plus de procurer un accès unique à λ, le mode de production principale de HH, par fusion de gluon (ggF, Figure 1) fait aussi intervenir le couplage Yukawa du quark top, et le mode sous-dominant, la fusion de bosons vecteurs (VBF, Figure 2), permet d’accéder aux couplages C_V (C_2V) entre deux bosons Vecteurs et un (deux) boson(s) H.
Il est intéressant de noter que d’autres méthodes existent, par exemple la mesure de l’impact indirect des variations de la valeur de λ intervenant dans les corrections perturbatives de la production de bosons H seuls.
Cette approche, aussi mise en œuvre au LLR, permet d’utiliser des processus relativement abondants et simples à identifier, tels que la production H→ZZ*, mais requiert une extrême précision dans les mesures, du fait de la faible contribution des corrections concernées.

Figures 1 et 2 : diagrammes de Feynman principaux de la production de paires de bosons de Higgs dans des collisions proton-proton, (a) par fusion de gluons, et (b) par fusion de bosons vecteurs.

Pour l’étude de la production non résonante HH, trois canaux de désintégration sont généralement considérés comme les plus favorables : HH →(b anti-b)(b anti-b), qui constitue une très large fraction (environ 34%) des évènements HH, mais dont les importants bruits de fond, et la reconstruction de l’état final peuvent être problématiques ; HH → (b anti-b)γγ, qui au contraire bénéficie d’une signature extrêmement propre, mais qui ne représente que 0.3% des désintégrations, et HH → (b anti-b)τ- τ+, illustré dans la Figure 3 qui constitue un bon compromis entre pureté de l’état final, et fraction des désintégrations (environ 7%), et qui est l’objet de l’analyse présentée à Moriond EW.

Figure 3 : candidat HH → (b anti-b)τ- τ+ dans un évènement enregistré par CMS en 2018. Les quarks b de l’état final apparaissent comme deux cônes translucides autour de traces dans le détecteur interne (vert) associés à d’importants dépôts d’énergie dans le calorimètre hadronique (bleu), similairement pour les deux leptons τ, en addition dépôts d’énergie dans le calorimètre électromagnétique (rouge)

Cette étude utilise l’intégralité des données du Run 2 du LHC, et inclut un grand nombre d’améliorations par rapport aux analyses précédentes de ce même processus. Parmi les améliorations notables, le choix des algorithmes de déclenchements utilisés a été revu et optimisé, incluant en particulier un nouvel algorithme développé au LLR, sélectionnant les événements contenant deux leptons τ et deux jets hadroniques de grande énergie et émis très à l’avant du détecteur, caractéristiques de la production par VBF. L’apprentissage profond (deep learning) occupe aussi une place extrêmement importante dans le développement de cette analyse, et est utilisé à plusieurs niveaux : pour l’identification des particules de l’état final, leptons τ et quarks b, pour la catégorisation des différents signaux, VBF et ggF, et bruits de fonds principaux, ainsi que pour l’extraction du signal.

Ces développements ont permis de largement améliorer la sensibilité au signal ggF, et d’exclure une valeur de la section efficace de production de HH supérieure à 3.3 fois la valeur prédite par le Modèle Standard (pour une limite attendue à 5.5 fois cette valeur). C’est la limite la plus forte obtenue à ce jour. Elle est environ 5 fois plus contraignante que celle obtenue précédemment avec les données de 2016, et deux fois plus que la limite qui aurait pu être obtenue considérant seulement l’augmentation de la quantité de données analysée. L’auto-couplage λ est lui contraint à l’intervalle -1.8 ≤ κλ ≤ 8.8 (-3 ≤ κλ ≤ 9.9 attendu), où le modificateur de couplage κλ peut être assimilé au ratio entre la valeur mesurée de λ et celle prédite par le Modèle Standard (SM), comme illustré dans la Figure 4. Ils ont aussi permis d’étudier pour la première fois dans ce canal la production VBF HH. Parmi les résultats présentés, une limite sur la section efficace de production VBF HH de 124 fois (154 fois attendu) la prédiction du SM, est obtenue. Bien qu’encore relativement peu contraignante, cette limite est elle aussi à l’heure actuelle la plus forte obtenue pour ce processus.

Figure 4 : limites sur la section efficace de production de paires de bosons de Higgs en fonction du modificateur de couplage κλ. Les valeurs de κλ pour lesquelles la section efficace mesurée (courbe noire pleine) est inférieure à la prédiction théorique (courbe rouge) sont exclues.

L’analyse de la production HH →(b anti-b)τ- τ+ devrait être combinée avec celle des nombreux autres états finaux étudiés par CMS, afin d’augmenter encore la sensibilité au signal. Un tel exercice avait été effectué avec les analyses utilisant les données de 2016, par la suite utilisé comme base pour l’estimation de la sensibilité atteignable avec le futur LHC Haute Luminosité (HL-LHC). Cette étude indiquait une possible exclusion de κλ=0 à 95 % de confiance avec l’ensemble des données du HL-LHC, mais pas d’observation à plus de cinq déviations standards de la production HH, même après combinaison des différentes analyses d’ATLAS et CMS. Cependant, la qualité des résultats obtenus avec l’ensemble des données du Run 2 permet plus d’optimisme pour le futur. Le Run 3 du LHC, sur le point de démarrer, s’annonce donc extrêmement excitant et pourrait déjà permettre l’exclusion de κλ=0, plus tôt qu’anticipé.

Contacts : Florian Beaudette, Jona Motta, Louis Portales