[**Ils se promènent sans autorisation à des années lumière de chez eux...prenez en chasse les neutrinos avec Sonia El Hedri et le groupe Neutrinos du LLR*]
Pendant que nous tournons en rond dans nos appartements des petits trublions parcourent l’Univers au nez et à la barbe de la police. Les neutrinos, particules les plus furtives du Modèle Standard, jaillissent des endroits les plus secrets, des réacteurs nucléaires aux coeurs des étoiles. Produits au fin fond du cosmos mais aussi dans le Soleil, notre atmosphère, et même nos propres corps, ils peuvent parcourir des milliers d’années lumière à une vitesse folle sans que rien les fasse dévier de leur trajectoire. Leur secret ? Leur très faible sensibilité à ce qui les entoure qui les rend virtuellement inconfinables. Pour arrêter la moitié des neutrinos passant par chez nous il nous faudrait une couche de plomb épaisse d’une année-lumière !
Ces étranges particules ne se soucient donc ordinairement ni de nous ni du Covid-19, appliquant scrupuleusement les gestes barrières sans même s’en rendre compte. Pourtant, des centaines de personnes dans le monde passent leur vie à les prendre en chasse. En effet, non contentes de nous narguer et de donner le mauvais exemple ces particules présentent des caractéristiques extrêmement intéressantes pour nous autres physiciens. En bons délinquants, les neutrinos passent leur temps à changer d’identité, un don surprenant dont l’étude pourrait révéler l’existence de particules inconnues. Par ailleurs, en plus de changer de visage les neutrinos sont capables de ressortir indemne des situations les plus cataclysmiques. Ils se révèlent donc d’excellents espions permettant d’étudier de près des phénomènes astrophysiques extrêmes, tels que l’explosion d’étoiles supermassives ou la formation des trous noirs. Malheureusement ils travaillent pour leur propre compte et, en arrivant sur Terre, ont la fâcheuse tendance de nous traverser comme si de rien n’était au lieu de gentiment nous montrer leur attestation. Pour les étudier, nous devons donc soit en produire nous-mêmes dans un accélérateur, ce que fait l’expérience T2K au Japon, soit rechercher des sources abondantes de neutrinos "naturels" comme notre atmosphère ou le Soleil. Ensuite, sur ces milliards de neutrinos produits naturellement ou industriellement, nous essayons d’en attraper quelques uns et d’en extraire toutes les informations que nous pouvons. Pour accomplir cette tache nous utilisons des détecteurs comme Super-Kamiokande, une gigantesque cuve d’eau tapissée de caméras au fond de la mine de Kamioka au Japon.
Au Laboratoire Leprince Ringuet je travaille dans le groupe Neutrinos, qui comprend actuellement onze chercheuses et chercheurs membres des collaborations T2K et Super-Kamiokande. L’un des nos buts principaux est de mieux comprendre les phénomènes d’oscillations, ces mystérieux changements de visage des neutrinos, et de les connecter à des théories de nouvelle physique. D’autre part, nous entendons mettre à profit les capacités surprenantes des neutrinos pour étudier de près les supernovae, phénomènes spectaculaires marquant la fin de vie des étoiles supermassives. Bien qu’extrêmement rares dans notre galaxie ces événements sont monnaie courante dans l’Univers. Les neutrinos qu’ils ont produits depuis des milliards d’années se sont donc accumulés et forment un fond diffus dans lequel nous baignons constamment. Un objectif majeur de notre groupe et de l’expérience Super-Kamiokande est de découvrir ce fond diffus qui recèle des informations inestimables sur l’histoire de l’Univers et la fin de vie des étoiles.
En tant que membres d’expériences situées au Japon nous avons l’habitude du travail à distance. Pour ma part, je collabore avec des chercheurs californiens et japonais et maîtrise donc l’art des visioconférences et des discussions sur Slack depuis bien avant le confinement. Beaucoup des problèmes de l’équipe sont donc le lot de tous les télétravailleurs : fin des discussions autour de la machine à café, chat/enfant/lapin de compagnie qui gambade sur le clavier, etc...Mais nous rencontrons aussi quelques difficultés plus spécifiques liées au travail sur les expériences elles-mêmes. Le groupe est notamment impliqué dans l’installation de détecteurs plus performants pour l’expérience T2K dont certaines phases vont probablement être retardées. Super-Kamiokande doit lui aussi avoir droit à son programme de remise en forme dans le mois qui vient, programme qui sera heureusement maintenu grâce à la bonne volonté de nos collègues japonais. Finalement, certaines activités de prise de donnée et suivi du détecteur jusqu’alors effectuées sur place doivent maintenant se faire à distance. L’un de nos collègues est d’ailleurs en train d’expérimenter le logiciel qui vient d’être conçu à cet effet. "C’est un peu rock and roll" qu’il dit...
Le groupe Neutrinos au LLR :
- Laura Bernard
- Marguerite Ba
- Alice Coffani
- Claire Dalmazzone
- Olivier Drapier
- Sonia El Hedri
- Alberto Giampaolo
- Michel Gonin
- Thomas Mueller
- Pascal Paganini
- Benjamin Quilain