HARPO, une cible active formée d’une TPC pour une astronomie γ et une polarimétrie γ de très haute performance: démonstration de la polarimétrie de rayons γ au MeV dans le régime de la conversion en paire e+ e

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Abstract: Aucun polarimètre sensible au delà du MeV n’a jamais volé dans l’espace. La polarimétrie γ ouvrirait une nouvelle fenêtre sur les processus d’émission au sein des sources cosmiques, qui produisent des rayons γ polarisés linéairement avec des fractions de polarisation différentes. La collaboration HARPO a conçu, construit et caractérisé en faisceau une cible active formée d’une TPC à gaz avec laquelle nous avons démontré pour la première fois la polarimétrie d’un faisceau de γ polarisé linéairement au MeV, en régime de conversion en paire e+ e.

 

A ce jour l’astronomie γ est aveugle à la composante polarisation, aucune mesure signifiante n’ayant été effectuée depuis la mesure dans la plage des rayons X sur la nébuleuse du Crabe par OSO-8 [1]. La polarimétrie fournirait les observables additionnelles nécessaires à lever la dégénérescence des fits de modèles de pulsars (zone d’émission, configuration angulaire et magnétique). En particulier pour les pulsars émettant au MeV, une mesure permettrait d’identifier la nature du processus d’émission à haute énergie (rayonnement de courbure ou rayonnement synchrotron) [2, 3]. La polarimétrie permettrait d’identifier la nature des particules émettant des γ dans les jets de blazars (leptons (un plasma de e+ et de e) ou mélange lepton-hadron (de la matière ionisée)) [4]. La polarimétrie pourrait permettre la détection indirecte de matière noire au centre de notre galaxie [5]; la détection de violation de l’invariance de Lorentz induite par une “nouvelle physique” au delà du modèle standard, avec un potentiel meilleur que les limites actuelles utilisant des rayons X, la sensibilité variant comme le carré de l’énergie des photons [6]; la découverte de l’axion, le pseudo-scalaire putatif, pseudo-boson de Goldstone associé à une symétrie U(1) qui résoudrait le problème de la non-observation de violation de CP par QCD [7].

La polarimétrie d’une source cosmique n’a jamais pu être effectuée dans la gamme en énergie du MeV au GeV. En ce qui concerne les polarimètres Compton, à la fois la section efficace et l’asymétrie de polarisation A décroissent rapidement avec l’énergie au dessus du MeV (Fig. 2 de [8]). Pour la “conversion de paire”, γ Ze+ e Z, la diffusion multiple subie par l’électron et le positron lors de leur propagation dans le détecteur ruinent l’information polarimétrique portée par l’angle azimutal de la paire après un parcours de quelques ≈ 10−3 longueurs de radiation [9, 10, 11].

Quelque espoir a été mis, par le passé, dans l’utilisation de conversions triplet, c’est à dire dans le champ d’un électron du détecteur, γ ee+ e e, l’électron cible reculant à grand angle polaire ce qui facilite la mesure de son angle azimutal. Hélas, la section efficace est petite et la fraction d’icelle d’impulsion suffisamment grande pour permettre une trajectographie l’est encore plus (Fig. 6 de [12]) : la sensibilité d’un tel polarimètre serait finalement misérable (Sect. 5.3 de [12]).

Une façon de résoudre le problème de la diffusion multiple est l’emploi de cible active dense de très haute résolution spatiale comme les émulsions [13]. L’examen des premiers microns de l’évènement juste en aval du vertex dans un tel détecteur a permis de démontrer la polarimétrie d’un faisceau de γ polarisé au GeV, mais la capacité à effectuer la mesure au MeV, là où l’essentiel de la statistique réside pour des sources cosmiques (Fig. 2 de [12]), reste à démontrer [14].

Le projet HARPO a exploré une autre voie, l’utilisation de cible active homogène de basse densité, une TPC (chambre à projection temporelle) à gaz sous pression [15]. Nous avons commencé par écrire [12] un générateur d’événement Monte Carlo qui échantillonne la section efficace 5 fois différentielle (5D) au premier ordre du développement de Born, dite de “Bethe-Heitler” (non polarisée [16], polarisée [17, 18, 19]). Avec cet outil nous avons déterminé la contribution (à 68 % de containment) à la résolution angulaire due à l’incapacité à mesurer l’impulsion de recul du noyau, ≈ 1.5   rad [E / 1  MeV]−5/4 [20, 21]. Nous avons obtenu d’autre part la contribution à la résolution angulaire due à la résolution angulaire de la mesure de la direction de chaque trace dans le cas d’un tracking optimal (à la Kalman) ∝ p−3/4 [20, 23].

Nous observons qu’après la traversée d’une épaisseur importante, la dilution de l’asymétrie de polarisation due à la diffusion multiple est moins dégradée (Fig. 17 de [12]), avec cette génération Monte-Carlo complète, que ce qui avait été prédit par [9, 10, 11] approximant l’angle d’ouverture de la paire θ+− par sa valeur la plus probable. Ceci est dû à la longue queue de la distribution de θ+− aux hautes valeurs. Nous avons ensuite démontré qu’avec une TPC, la résolution angulaire de la mesure de chaque trace est tellement bonne qu’une polarimétrie peut être effectuée avant que l’information azimutale soit perdue [12]. Grâce à la variation en p−3/4 de la résolution par trace, et étant donné la loi d’échelle en 1/E de la distribution de θ+− [24], nous prédisons une dilution de l’asymétrie de polarisation meilleure à basse énergie (Fig. 20 de [12]): il y avait donc de l’espoir. La simulation indique qu’avec un polarimètre utilisant une TPC d’un volume de 1 m3 d’argon à 5 bar, observant une source du type de la nébuleuse du Crabe pendant une année à plein temps et à pleine efficacité, la précision attendue de la mesure de P est de l’ordre de 1.4 % [12].


Figure 1: Distribution de l’angle azimutal de rayons γ d’une énergie de 11.8 MeV provenant de la ligne de faisceau BL01 de NewSUBARU, se convertissant en une paire e+e dans le mélange gazeux argon-isobutane (95-5 %) à une pression de 2.1 bar de la TPC prototype HARPO [31].

Nous avons utilisé la méthode des moments pour obtenir une mesure optimale de la modulation A × P de la distribution de l’angle azimutal. Dans le cas d’une simple distribution 1D, la méthode est équivalente à un fit de maximum de vraisemblance de la section différentielle 1D, dσ/dφ ∝ (1 + A × P cos(2(φ−φ0)) ) [12, 25]. Dans le cas de la section différentielle complète 5D, un gain d’un facteur de 2 à 3 sur la précision de la mesure de A × P est possible [12, 25].

Dans le cas qui nous intéresse ici d’un état final formé de 3 particules (même si le recul du noyau ne peut pas être mesuré), la définition de l’angle azimutal φ de cet état final doit être effectuée judicieusement. Nous avons démontré que le bisecteur φ+− = (φ+ + φ)/2 des directions de angles azimutaux des directions de l’électron φ et du positron φ+ est un choix optimal [25]. Notre générateur est alors le seul sur le marché qui reproduit les expressions asymptotiques de basse et de haute énergie de l’asymétrie de polarisation [21].

La collaboration HARPO a construit une TPC prototype à haute pression (0.5 - 5 bar) [15] qui utilise un système amplificateur hybride GEM-micromegas alors novateur et que nous avons caractérisé avec précision (gain de chaque étage, efficacités d’extraction et de collection) [26]. L’anode est segmentée en 2 séries de pistes orthogonales (x,y), plutôt que des pads, de façon à limiter le nombre de canaux de l’électronique de lecture, un facteur clef pour un détecteur destiné à une mission spatiale. L’ambiguïté induite de l’appariement des traces dans les 2 projections (x, t et y, t) de l’événement, où t est la durée de dérive, est facilement résolue par la comparaison des spectres temporels de dépôt d’énergie de long de chaque trace (Fig. 6 de [27]).


Figure 2: Les 2 “cartes”, c’est à dire les 2 projections x,t et y,t de la conversion d’un rayon γ d’une énergie de 3.93 MeV provenant de la ligne de faisceau BL01 de NewSUBARU, se convertissant en une paire e+e dans le mélange gazeux argon-isobutane (95-5 %) à une pression de 2.1 bar de la TPC prototype HARPO [32]. Les lignes tiretées verticales désignent les limites physiques du détecteur, la cathode (à gauche) et l’anode (à droite).

Nous avons exposé le détecteur au faisceau γ de haute intensité produit par diffusion Compton inverse (LCS) d’un faisceau laser sur le faisceau d’électrons d’une énergie de 0.6 à 1.5 GeV de l’anneau de stockage NewSUBARU [28]. Nous avons collimé le faisceau de γ sur l’axe à l’avant de façon à obtenir un faisceau quasi-monochromatique à la limite Compton. Le faisceau collimé a alors une fraction de polarisation P presque identique à celle du faisceau laser originel. Variant la longueur d’onde du laser et l’énergie des électrons nous avons pu prendre des données avec des γ de 1.7 à 74 MeV. Nous avons conçu et utilisé un trigger qui nous a permis d’acquérir des données avec un taux d’événements signal, c’est à dire la conversion d’un photon issu d’LCS dans le gaz en une paire e+e, de quelques dizaines de Hz, alors que le bruit de fond incident était de quelques dizaines de kHz, et ce avec un temps mort faible [29]. Nous avons simulé l’expérience avec un Monte Carlo basé sur Geant4 et dont la simulation des processus spécifiques à la TPC est fait maison, le tout calibré avec soin sur les données elles-mêmes [30]. La structure x,y,t fortement non-symétrique de révolution du détecteur induit des biais dans la carte d’efficacité et dans la migration des événements en fonction de φ. Nous avons mesuré ces biais et nous les avons corrigés par un mécanisme à double détente; d’une part nous avons pris des données par quart avec une orientation du détecteur variant par pas de 45; d’autre part nous avons acquis des données supplémentaires avec un faisceau non polarisé, de façon à pouvoir calculer le rapport des distributions de l’angle azimutal pour (P=1) et pour (P=0), le tout bien évidemment sous le contrôle de la simulation Monte Carlo [31]. Sous une exposition isotrope, en orbite, ces biais sont naturellement absents par moyennage sur le long terme (Fig. 12 de [31]).

Nous avons démontré pour la première fois la polarimétrie d’un faisceau de γ au MeV [31] (Fig. 1), et ce avec un facteur de dilution excellent. Par contraste avec les détecteurs de haute densité, les détecteurs gazeux peuvent imager la conversion de rayon γ de basse énergie (Fig. 2), ce qui est critique car la précision de la mesure de polarisation repose sur la statistique des données acquises, et donc sur la capacité à prendre des données à basse énergie pour des sources cosmiques.

Nous avons monitoré la dégradation du gaz de la TPC sur 6 mois lors d’une prise de données en mode scellé. Après une simple purification de la contamination en oxygène (le rapport oxygène/azote est trouvé compatible avec celui de l’air), la TPC retrouve un fonctionnement nominal avec les paramètres d’un gaz neuf [22], ce qui permet d’envisager un fonctionnement de longue durée, en orbite, avec le même gaz.

Retombées utiles à la communauté:

Un grand merci à l’ANR pour son financement (ANR-13-BS05-0002).


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